Data Cuisine : des ateliers qui transforment des données en plats à partager

Deconstructed Food Miles Smoothie ©Photographie : Navarjun Singh, Andrew Tang
Moritz Stefaner, l’un des spécialistes européens de la dataviz, Susanne Jaschko, chercheuse en art médiatique, sont les concepteur·rice·s de ce format si unique : Data Cuisine. Deux jours d’atelier, des fans de visualisation de données et de bouffe, un·e chef·fe local·e, et beaucoup d’imagination pour créer des plats qui datavisualisent des données locales. Tous deux ont accepté de revenir sur les coulisses de cette expérience, leurs plats data préférés et l’avenir de ces ateliers.

#Vegan4lyfe ©Photographie : Uli Holz
En observant les projets dits de photovizualisation (photo + dataviz) publiés ces dernières années, on constate que les aliments figurent parmi les matériaux privilégiés pour les métaphores visuelles : pensez-vous que cela s'explique simplement par leur facilité d'accès, de découpe et d'arrangement ? Ou y voyez-vous d'autres raisons ?
Excellente question ! Ce qui nous a attirés dans le travail avec la nourriture et les données — et peut-être d'autres aussi — c'est cette tension entre la donnée généralement perçue comme abstraite, distante, technique, froide, et la nourriture qui représente tout le contraire : la vie, la sensualité, la communauté, la chaleur... L'autre caractéristique intéressante de la nourriture, c'est qu'elle possède tellement de connotations ! Chaque ingrédient et chaque recette ont une histoire et un contexte social. Cela en fait un médium très riche, aux multiples facettes. Il existe également une tradition séculaire dans l'art de représenter la nourriture et d'explorer ses connotations métaphoriques et symboliques. Pensez à l'époque baroque, par exemple, avec ses peintures d'aliments — toutes des méditations sur l'éphémère — ou au tableau de Manet représentant une botte d'asperges, sans oublier les représentations colorées d'arrangements de fruits de Cézanne et les exemples d'Eat Art dans les années 1960. Ce canon visuel constitue une source d'inspiration pour les créateurs, qu'ils en soient conscients ou non.

Brainstorm et croquis préparatoires pendant le workshop Data Cuisine à Barcelone ©Photographie : Ferran Val
Après avoir mené ce projet, Data Cuisine — initialement une initiative de recherche — dans plusieurs pays, quels conseils donneriez-vous pour constituer l'équipe idéale pour une visualisation de données culinaire ? Quels sont les profils adaptés ?
Nous avons constaté que les équipes interdisciplinaires associant designers et artistes avec des profils plus techniques issus de la data formaient une excellente combinaison. Soit l'expertise culinaire était déjà présente, soit elle était apportée par nos chefs conseillers. Le plus important est que tous soient capables — et désireux — de sortir de leurs schémas habituels et d'essayer quelque chose de différent : les chefs s'intéressent généralement avant tout à une expérience culinaire optimale, mais que se passe-t-il si les données suggèrent des proportions déséquilibrées ? Ou bien, un plat représentant des données négatives devrait-il avoir bon goût ? Ou l'expérience ne devrait-elle pas correspondre à la signification des données ? En parallèle, les statisticiens devront s'habituer à un degré plus élevé d'imprécision et de variations interpersonnelles dans le décodage des valeurs de données, ce qui est bien sûr compensé par une expérience sensorielle beaucoup plus profonde comparée à un banal diagramme en barres. De plus, ils doivent tous être désireux de vraiment collaborer et prêts à apprendre les uns des autres.

Confection des plats pendants le workshop Data Cuisine Barcelone ©photographie : Ferran Val
Le dernier atelier de Data Cuisine a eu lieu à Paris en 2019 : pensez-vous le relancer un jour ?
Data Cuisine n'est pas mort :) L'idée perdure et a inspiré de nombreux autres projets connexes. Allons-nous organiser un autre atelier dans cette configuration ? Qui sait ! Au cours de nos dix ateliers, qui ont donné lieu à des dizaines de plats, nous avons accumulé beaucoup d'expériences et exploré assez largement l'espace des données culinaires. Après avoir organisé des ateliers en Europe et aux États-Unis, nous avons fantasmé sur l'exploration de la cuisine japonaise, particulièrement appréciée pour sa belle présentation visuelle, en combinaison avec des récits de données japonais. Nous aimons les défis, donc si un chef ambitieux et curieux de là-bas ou de tout autre endroit intéressant s'associait avec un organisateur local et parvenait en plus à obtenir un budget conséquent et un groupe diversifié de participants engagés, nous pourrions être partants :)
C'est toujours un exercice difficile, mais quelles sont vos créations Data Cuisine préférées et pourquoi ?

Death by chocolate ©Photographie : Nathalie et Bérénice Martin
- Death by chocolate présente son interprétation douce-amère des taux de mortalité pour différents groupes, avec une exécution parfaite.

High Skale ©Photographie : Chris Hempenius
- High sKale représente la quantité de consommation de cannabis avec différents niveaux de goût fumé.

Eating the distance ©Photographie : Navarjun Singh, Andrew Tang
- Eating the distance a joué avec le placement des plats dans la pièce, selon le degré de localité des ingrédients. Il fallait aller dans la pièce d'à côté pour manger le pudding au tapioca, en raison de ses ingrédients exotiques.

Spiced foreigners between pasta ©Photographie : Data Cuisine
- Spiced foreigners between pasta, de notre tout premier atelier, représente les immigrants de différentes nationalités avec différentes épices, permettant de goûter la diversité croissante des saveurs et des origines ethniques à mesure qu'on mange ses lasagnes.
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